Bonjour, il faudrait faire un récit de ce genre : "Mon fils Michel était âgé de cinq ou six ans - je ne m'en souviens plus exactement - lorsqu'il fallut l'opérer pour lui enlever des végétations dans la gorge. Notre vieux médecin de famille nous rassura, mon mari et moi, en nous affirmant que l'opération était bénigne, indolore, et rapide. Il nous suffisait de conduire Michel chez un de ses confrères, un chirurgien expérimenté. Mais connaissant Michel et sa phobie des opérations, il nous fallait endormir sa méfiance. Pour cela, nous lui fîmes croire que nous l'emmenions au cirque. Ce mensonge me gênait, surtout qu'il était grossier et mal ficelé, mais Michel, rayonnant, y crut avec enthousiasme et se montra très pressé d'aller au rendez-vous. Nous y allâmes donc en fiacre, et dûmes patienter un bon quart d'heure dans la salle d'attente. Enfin, quand ce fut notre tour, le vieux médecin de famille nous rejoignit, et prit Michel par la main. Je me levai pour l'accompagner, mais le médecin me fit signe que c'était inutile. Michel me jetait des regards inquiets, sans doute devait-il percevoir mon embarras, et cela le mettait mal à l'aise à son tour. "A tout de suite, mon chéri", lui dis-je pour le rassurer, tandis que le médecin de famille l'emmenait à grands pas. Dans la salle d'attente, je feuilletais les journaux nerveusement depuis quelques minutes, lorsque brusquement j'entendis un hurlement atroce provenant du cabinet médical. C'était Michel ! J'étais bouleversée, sans plus attendre je me levai et tambourinai à la porte du cabinet, hurlant le nom de Michel. Le vieux médecin de famille sortit, me dit que l'opération avait été un succès, mais que Michel s'était évanoui ; "Le problème, me dit-il, c'est qu'il va cracher du sang pendant plusieurs heures encore, il faut donc lui maintenir la tête avec la bouche ouverte au-dessus d'une petite bassine pour éviter que le sang n'aille dans les poumons". "Mais il doit souffrir le martyre !", m'écriai-je, "comment faire passer la douleur au plus vite ?" "Bah, essayez de lui faire avaler de la glace, de toute façon c'est l'affaire de quelques heures au plus, ne vous inquiétez pas !" Furieuse, j'emmenai Michel toujours inconscient dans le fiacre que nous avions réservé, tandis que mon mari réglait la facture, puis nous reprîmes le chemin du retour. Michel reprit conscience, mais il était affreusement pâle, et, surtout, il était devenu muet : il semblait nous regarder, son père et moi, comme si nous étions des étrangers, comme si nous n'existions plus à ses yeux. "Bah ! Ça lui passera", disait mon mari, "sans doute est-ce un effet secondaire de l'opération". Mais pendant vingt-quatre heures, impossible de tirer le moindre mot de Michel, je crus qu'il était devenu muet, et je me confondus en excuses, le serrant dans mes bras en pleurant, lui disant à quel point j'étais désemparée et honteuse de ce qu'il avait dû endurer. Je lui promis que jamais plus nous ne reviendrions chez le vieux médecin, mais c'était trop tard, et j'éprouve encore aujourd'hui beaucoup de remords, non seulement pour avoir menti à mon fils, mais pour n'avoir pas été capable ensuite de réparer les conséquences de nos choix."