Répondre :
Céline, sortant du théâtre. – Non mais quelle horreur, cette pièce ! J’avoue que je ne m’attendais pas à ça de la part de Shakespeare… Ah, je m’en souviendrai, de Titus Andronicus !
Marianne. – C’est sûr qu’il faut avoir l’estomac bien accroché…
Céline. – L’estomac bien accroché ? Indigeste ? Tu as le mot pour rire ! Le héros fait manger ses enfants en pâté à son ennemi, après les avoir saignés comme des cochons !
Marianne. – Oh, tu dis ça, mais le mythe de Thyeste ne t’a pas tant choquée quand on l’a étudié en classe. Pourtant, on y retrouve aussi bien le meurtre sanglant que le cannibalisme.
Céline. – Oui, mais ce n’est pas pareil ! Shakespeare, c’est du théâtre !
Marianne. – Oui, c’est sûr : cela montre que parler de violence, cela passe, mais que la voir représentée, c’est plus dérangeant.
Céline. – Exact. C’est une question de représentation. Et la question se pose de façon encore plus cruciale pour le théâtre que pour le cinéma.
Marianne. – Pourquoi ?
Conseil
Dans un dialogue qui procède par arguments/contre-arguments, pour donner de la dynamique et un fil conducteur, pensez aux formules de concession : Oui, mais… Je veux bien mais… Oui, c’est sûr…
Céline. – Parce que le théâtre, c’est « frontal » : tu es proche de ce à quoi tu assistes, tu vis et respires en même temps que les personnages évoluent. Dans une salle de cinéma, on est moins frappé par ce qui se passe sur scène, parce que les acteurs n’y sont pas présents. Un corps souffrant est plus palpitant, donc plus troublant sur scène que sur un écran plat. C’est pourquoi les films d’horreur ne m’ont jamais vraiment fait peur : je trouve ça juste dégoûtant. Alors que cette pièce, j’en tremble encore ! Et puis, tu vois, il y a autre chose : représenter la violence ne me semble pas être réellement acceptable en soi. Je dirais que c’est une question de morale.
Marianne. – Ah, les fameuses bienséances du xviie siècle… Camille de Corneille qui court se faire assassiner par son frère en coulisses, parce que sur scène, cela ne se fait pas ! Tu ne trouves pas ça un peu ridicule ?
Céline. – Si cela se limitait à ce que tu dis, certainement. Mais il faut remettre les bienséances dans leur contexte. Elles ont été érigées en règle contre un théâtre qui devenait stérile à force de surenchère dans la violence. Prends l’exemple de Scédase, ou l’Hospitalité violée, d’Alexandre Hardy. Hé bien je peux te dire qu’il n’y a pas que l’hospitalité qu’on viole dans la pièce ! Deux jeunes hommes s’introduisent dans la maison de Scédase, outragent ses deux filles, les tuent, et les jettent dans un puits. Et tout ça sur scène !
Marianne. – Je vois ce que tu veux dire : la débauche de violence finit par ne plus choquer, puisqu’elle habitue le spectateur à tout voir. Et les bienséances visaient à régler ce type de spectacle un peu trop « baroque ».
Céline. – Exactement.
Marianne. – Mais faut-il pour autant interdire toute représentation de la violence sur scène ? Après tout, le théâtre a aussi pour vocation de renvoyer l’image de notre monde. Il est aussi hypocrite de cacher la violence qu’il est excessif de faire couler des ruisseaux de sang sur scène.
Céline. – Oui, mais cela pose encore une fois problème : rappelle-toi ce que dit Aristote dans sa Poétique. Il parle du paradoxe de la représentation, qui nous fait apprécier, voire admirer ce que, dans la réalité, nous détesterions regarder. C’est le principe du plaisir esthétique.
Marianne. – Où veux-tu en venir ?
Céline. – À ceci : avons-nous le droit d’admirer un meurtre ? Corneille disait de sa Cléopâtre dans Rodogune « qu’en même temps qu’on détestait ses actions, on ne pouvait s’empêcher d’admirer la source dont elles partaient » : est-il moralement défendable d’être fasciné par le Mal ?
Marianne. – Je suis tout à fait d’accord avec toi. Mais justement, c’est là l’intérêt du théâtre. On ne devrait pas être fasciné par le Mal, mais en réalité nous le sommes ! Nous sommes tous des voyeurs. Pour moi, le théâtre existe pour nous révéler cette réalité-là : il nous montre ce genre d’acte, pour que nous prenions conscience de notre part d’ombre.
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